Salkantay : sale temps, on s'caille !
Bonne nouvelle! La saison des pluies a commencé. Les paysans sont ravis. Nous, moins.
On a décidé de faire une rando, celle du Salkantay qui, en quatre jours, nous mènera au pied du Machu Picchu.
On passe donc par l'agence de Marlon (le chico, vous vous rappelez, le frère de la chica d'Arequipa) qui nous propose un tarif abordable. Et pour la première fois, on va partir en groupe avec des gens qu'on ne connaît pas ! Histoire de voir...
Et c'est comme ça qu'on s'est retrouvés dans un petit village de montagne avec quatre sympathiques et volubiles étudiantes espagnoles avec qui on allait faire le parcours. Enfin, espagnoles... catalanes en fait. Il y a une première Anna, une deuxième Anna (quand elle nous a dit qu'elle s'appelait "Anna, tambien" on a été tentés de la surnommer comme ça, mais ça aurait pas été gentil), Mariona et Montserrat (si elle est pas catalane, celle-là !). Elle finissent leurs études par une thèse de gestion de l'environnement ici, à Cusco.
Yjegel, le guide, a à peu près leur âge, 24 ans.
Bon, c'est l'heure, on part... comme des fusées !
Energie de la jeunesse, les autres sont en permanence devant pendant que nous, on rame derrière à la moindre côte; et justement il y en a quelques unes, vu qu'on a environ 1500 mètres à monter. Bon, au bout d'un moment, le guide pense à regarder derrière lui et se rend compte qu'il a un peu de boulot à faire s'il veut préserver l'homogénéité de son groupe ! Il finit par se mettre au milieu et, à partir de là, le trek se déroulera bien jusqu'au dernier jour où il faudra remettre les pendules à l'heure. Mais nous avons compris qu'il manque d'expérience et ne sera pas forcément en mesure de nous apporter les informations que nous cherchons. Il a bien appris ses leçons, mais il est plus calé sur l'histoire ou les cultures andines que sur la botanique.
Le premier jour est un peu morne sur un chemin de terre sans grand intérêt.
Le second, en revanche, le paysage change (on a campé à 4000m) et on est vraiment dans la vraie et belle montagne sauvage.
Malheureusement, rien n'est parfait. Le ciel s'est chargé et nous montons dans les nuages. La pente est sacrément raide et tout le monde crache ses poumons, mais malgré tout nous avons plus la pêche que la veille : on carbure à la hoja de coca et le cuisinier nous a concocté une triple dose de sucres lents. Minimum. Donc ça va.
Là haut, petite cérémonie andine, une offrande à Apu Salkantay (qu'on a vaguement aperçu entre deux nuages) à base de feuilles de coca glissées dans "l'apachetera" que nous avons construite au milieu d'autres. Car tous ceux qui passent par là rendent hommage à l'Apu, la montagne. Histoire de pas l'offenser.
Puis la descente commence sous la pluie, dans le froid, la boue et un sentier transformé en un petit torrent. Au bout d'une heure ou deux, on est trempés, à tordre. On a 2700 mètres à descendre jusqu'à demain soir. Mais qu'est-ce qu'on rigole !
Même les poulets ont leur cape de pluie !
Mais eux c'est pour que les aigles les confondent avec des bouts de plastique et ne viennent pas les kidnapper !
Bon évidemment, là, on fait les malins. Evidemment que c'est frustrant de ne pas voir le paysage, que le ciel soit bouché. Evidemment qu'il y a plus agréable que d'avoir les pieds gelés et qui font flic-floc à chaque pas. Mais bon, ça aussi ça se relativise, parce que c'est pas si grave, que c'est un moment de vie intense, et une autre manière d'être dans la nature.
D'ailleurs le soir même elle se fait plus clémente et nous offre un de ces moments de grâce dont elle a le secret : un ballet de lucioles juste avant que se lève la pleine lune... Magie.
Le troisième jour est moins mouillé et, sur ce versant, on traverse une région de selva alta (forêt d'altitude) où on retrouve de la végétation tropicale. On domine un rio qui débaroule de toutes ses forces; des cascades strient le vert des pentes abruptes à droite comme à gauche... Bref, tout ça ressemble au décor d'un film comme "Aguirre, la colère de Dieu" avec Klaus Kinski.
Mais qui dit végétation tropicale dit... moustiques ! Eh oui, il y a des moustiques et autres bêtes qui piquent à 3500 m d'altitude ! On retrouve donc nos petits copains piqueurs.
On n'a évidemment rien pu faire sécher depuis la veille et les 4 filles, faute de vêtements de rechange, se sont mises en short, pleines de confiance en la qualité de leur anti-moustiques. Tu parles ! Les sales bêtes s'en donnent à coeur joie, un vrai festin ! Mais nous ne sommes pas épargnés.
Ce soir-là, le campement n'est pas génial parce qu'on est dans le camping d'un village, lui aussi infesté de moustiques. Nous, on aurait préféré rester en pleine montagne plutôt que de nous retrouver à côté des discothèques.
Le lendemain, Yjegel nous explique qu'il y a huit ans, en 1998, le village était plus bas, au bord de l'Urubamba, lorsqu'une crue a tout emporté. Il y avait une ligne de chemin de fer et un pont qui étaient le poumon économique de l'endroit.
Près de 600 morts.
Puis notre groupe atteint le bord de la rivière. Surprise : pour la traverser, une sorte de nacelle accrochée à un câble. À notre arrivée, la nacelle est justement coincée au beau milieu entre les deux rives et il faudra une dizaine de minutes pour qu'elle parvienne de l'autre côté... Ambiance !
On réalise à ce moment là que ce qui est pour nous un petit frisson pour occidentaux gâtés, un petit moment amusant, est le quotidien des habitants de Santa Teresa. Cette nacelle, c'est un lien vital pour leur survie économique. Sinon ce sont des détours de plusieurs heures par des routes de montagne pour rallier Cusco.
Là où ça se corse, c'est que la reconstruction traîne. Et pourquoi donc ? Eh bien, Perurail, la société privée qui exploite la ligne qui va de Cusco à Aguas Calientes-Machu Picchu et qui desservait ensuite Santa Teresa jusqu'en 1998, n'est pas pressée de voir un nouveau pont et une nouvelle route desservir le village. Perurail n'a pas envie d'être concurrencé par des transports routiers. Et Perurail, société péruvienne appartenant au groupe européen Orient Express, a des appuis puissants.
De plus on est tout près d'Aguas Calientes et du Machu Picchu où le big bazar touristique bat son plein, avec les conséquences qu'on imagine sur l'environnement. Alors l'Unesco, qui finance une bonne part de l'entretien du site n'est pas chaude non plus pour une nouvelle route qui risquerait d'aggraver la situation dans un pays où la corruption est reine et la protection de l'environnement une bonne blague. L'Unesco menace, si la route était construite, de retirer le Machu Picchu de la liste du Patrimoine mondial de l'humanité.
Pendant ce temps, les habitants de Santa Teresa continuent à traverser l'Urubamba deux par deux, avec leurs paquets, dans leur petite nacelle.
Le trek lui-même se termine au bout de quatre jours à Aguas Calientes par un bon bain dans les eaux thermales soufrées. Moment de délassement pas volé et pas inutile parce que demain c'est
MACHU-PICCHU
Lever : 4 heures du mat.
Montée : à pied par les "escaliers de l'inca", 4 à 500 m de dénivelé, une heure vingt à transpirer et à ahaner. Mais bon, Yjegel, le guide, donne un bon rythme régulier et on est tout étonnés quand il nous annonce que, ça y est, on est arrivés. Il est 6 heures 30 du matin et les premiers bus amènent les premiers touristes (6$ pour 4 ou 5 kilomètres et idem au retour).
Comme prévu Yjegel nous laisse à l'entrée du site où il n'a pas le droit de travailler et que nous devons visiter avec un guide officiel.
Et là, ça commence TRES MAL !
D'abord, comme les jours précédents, le temps est bouché et une bonne partie du site disparaît régulièrement dans les nuages. Mais bon, ça, c'est la vie.
Surtout, on se retrouve d'emblée balancés au milieu d'un groupe avec un guide dont il apparaît vite qu'il raconte n'importe quoi, et comme toujours, au pas de charge. Peu à peu les gens en ont marre, une dame se fout en boule et s'en va. Nous l'imitons.
Et nous voilà, au milieu du site, sans même le plan que l'agence était sensée nous fournir, sans rien ni personne pour nous expliquer ce que nous voyons. Tant pis, nous décidons de nous balader pendant les heures qui restent, de nous imprégner de Machu Picchu.
Et c'est là qu'on se rend compte qu'on est vraiment dans un lieu spécial. Parce que le site te prend, littéralement, il se glisse en toi. Quelles que soient les conditions : la pluie, les touristes, les guides... Peu importe tout ça, un souffle est là !
De toutes façons, on a peu de certitudes concernant le Machu Picchu, surtout des hypothèses : quand a-t-il été construit ? Pour quoi faire ? Qui l'habitait ?
Planté sur ses pics, drapé dans ses nuages, Machu Picchu t'enveloppe, Machu Picchu te caresse. Il te murmure, avec les pyramides d'Egypte et les temples d'Angkor, avec les cathédrales et les jardins de Grenade, avec Rembrandt, Michel Ange et Mozart, sans oublier, surtout, les chansonnettes de Trenet ni les recettes de cuisine de ta grand mère que les êtres humains sont aussi capables de créations, d'élans qui nous tirent vers le haut et nous arrachent à notre bourbier quotidien. Merci Machu Picchu, on a besoin de s'en souvenir de temps en temps.
Nous reviendrons !