L'origine du monde
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On dit de l'Afrique qu'elle est le continent des origines, celui où tout a commencé pour les êtres humains. C'est sans doute vrai.
Mais de l'Amazonie à l'Altiplano et aux cîmes de la Cordillère, l'Amérique du Sud suscite elle aussi ce sentiment d'être devant un paysage de création du monde.
Pour les Incas, il n'y avait aucun doute. C'est sur une île du lac Titicaca (la Isla del Sol ou Ile du Soleil) que Viracocha a surgi pour créer le soleil, la lune et les étoiles. Rien que ça.
Et d'après la légende, c'est des rives du lac qu'est parti Mango Capac, muni de son bâton d'or pour s'en aller fonder Cusco, le nombril du monde, on vous le rappelle. Bon, on va tout de suite régler la question du nom de ce lac qui aura tant fait pouffer ou ricaner des générations de francophones, jeunes et moins jeunes. En aymara, la langue du coin, "titi" désigne le chat sauvage des andes, parfois assimilé au puma, et "caca" signifierait "gris". Un chat gris, donc. Pas de quoi glousser au fond de la classe en cours de géo !
Aujourd'hui, on considère que c'est ici que sont nées les premières civilisations andines,du moins dans la partie centrale de la Cordillère. La civilisation de Tiwanaku a rayonné dans cette région, jusqu'au Pacifique et très loin vers l'Est et le Sud à la même époque que Chavin, un peu plus au Nord.
La Porte du Soleil à Tiwanaku
et
le monolithe Ponce, représentation d'un "roi-prêtre" de la cité.
Mais si le mot pureté a été inventé, c'est sûrement pour parler du lac Titicaca. Pure la lumière, pure l'eau toute bleue du lac, pur le silence, purs le soleil et l'air. Car il faut dire qu'on est à 4000m d'altitude sur ce haut plateau andin qu'est l'Altiplano. Car si nous avons vu Machu Picchu sous la pluie, Inti, le soleil, s'est montré plus amical pour notre passage près du lac et sur ses îles. Là, sur le lac du soleil, tout n'a été que lumière, douceur et paix.
Vous l'aurez compris, on s'est pris une grosse secousse ici!
Si les villes, Puno ou Copacabana, sont plutôt quelconques, les îles sont toute différentes dès qu'on parvient à éviter le flot touristique (assez relatif il est vrai) qui investit surtout les étonnantes îles Uros. Ce sont des îles flottantes, faites de totora, comme les bateaux qu'utilisaient autrefois les pêcheurs du lac ! C'est un vrai matelas sur lequel on marche, drôle de sensation! La dernière habitante est morte il y a quarante ans, mais les îles restent en place comme attraction touristique.
À Amantani, Jack, un petit garçon de quatre ans est venu nous chercher à la descente du bateau, puis nous a pris par la main pour nous guider jusqu'à sa maison où nous devions loger.
L'île est à 4 heures de bateau du "continent" mais compte 2000 habitants. L'électricité y est produite par des panneaux solaires, mais elle semble contingentés et les îliens n'en profitent guère, semble-t-il. Un matin, très tôt, nous avons grimpé jusqu'au temple de Pachatata, une des divinités de la terre, pour contempler le lever du soleil. Nous sommes restés là, silencieux, fascinés par les couleurs et la lumière sur l'eau, le ciel, les pierres et la terre jusqu'au moment où quelques notes de trompette se sont fait entendre. Tout près. Quelques mètres en contrebas. Lorsqu'elles se sont tues, nous nous sommes approchés doucement pour découvrir un habitant de l'île venu ici pour saluer le soleil et le jour naissant et qui poursuivait son rituel par la lecture à voix basse d'un livre. Une prière ? Encore quelques notes de trompette. L'émotion qu'on ressent alors ne s'écrit pas, ne se décrit pas. Il faut la vivre ou l'imaginer.
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Deux jours plus tard, sur l'Ile du Soleil (qui voisine avec l'Ile de la Lune) nous avons dormi onze heures dans le silence d'un hameau du bord du lac. Pas un bruit autre que celui des vagues. Une vie qui semble faite de travail et de lenteur et, sous nos yeux, le spectacle des troupeaux de moutons qui, à la queue-leu-leu longent la plage matin et soir pour aller vers leurs pâturages ou en revenir. Souvent, ils sont précédés d'un ou deux ânes, vaches ou cochons.
Et puis nous avons arpenté un jour durant les sentiers des hauteurs de l'île pour contempler ses criques désertes et ses ruines incas. Car c'est sur cette île que se trouve le fameux rocher où Viracocha s'est installé pour accomplir son oeuvre de création. Viracocha n'apparaît normalement que dans les rêves des humains, mais ici, on arrive à distinguer son visage sur la roche.
On dirait qu'il aime ce genre de plaisanterie, puisqu'il s'amuse de la même manière sur la falaise d'Ollantaytambo.
Dans ce lieu sanctuaire, les incas avaient érigé un temple et un palais où vivaient des vierges dont l'une, chaque année, était sacrifiée à Viracocha sur la pierre qui fait face au lac. La tradition s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui, puisque chaque 29 novembre, les habitants de l'île sacrifient un lama en offrande, non plus à Viracocha mais à la Pachamama, la terre-mère, pour que l'année soit faste. Les offrandes à la Pachamama sont d'ailleurs quotidiennes; on verse par exemple sur la terre quelques gouttes de liquide avant de boire.
Après, on est retournés dans notre petit hôtel au bord de la plage admirer le soleil couchant sur la Cordillère Royale au loin, et regarder passer les moutons.
On a juste oublié de vous dire qu'en passant d'une île à l'autre, on a changé de pays. Mais ça, c'est juste de l'histoire contemporaine et ça n'a rien à voir avec ce qu'était ce monde avant l'arrivée des européens. Au revoir le Pérou, bonjour la Bolivie !
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Salut aux botanistes !